Depuis maintenant près d’un an, l’Union Européenne fait face à une crise énergétique sans précédent. Sous l’influence de la reprise économique post Covid, les prix du gaz et de l’électricité ont subi fin 2021 une augmentation sans commune mesure qui, après une courte phase d’accalmie, sont repartis à la hausse, faisant écho au conflit russo-ukrainien.
Le Syndicat Départemental d’Energies que je représente, en collaboration avec les Syndicats d’Energie de l’Ariège, de l’Aveyron, du Cantal, de la Corrèze, du Gers, de la Haute-Loire, du Lot, des Hautes-Pyrénées, de la Lozère et du Tarn et Garonne, participe au pilotage d’un groupement d’achat permettant de couvrir les besoins en énergie de plus de 2 000 collectivités et établissements médico-sociaux, dont 321 dans le Tarn.
Le renouvellement des marchés d’électricité que ce groupement a mené fin 2021, attribués à EDF, a conduit à une augmentation des factures pour ses adhérents comprise entre 40 et 80%.
Le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement devrait permettre de réduire cette hausse d’environ 20 points. Toutefois, l’incidence résiduelle pour les adhérents tarnais est estimée pour la seule année 2022 à 7 millions d’euros TTC et près de 33 millions d’euros TTC pour l’ensemble des membres du groupement.
Aujourd’hui, afin de couvrir les besoins de ses adhérents pour les années 2023 et 2024, le groupement doit effectuer des prises de position sur les marchés de gros du gaz et de l’électricité.
Si le gaz semblait être le produit qui allait être le plus impacté par le conflit russo-ukrainien en raison de la forte dépendance de l’Europe aux importations de gaz russe, la structuration du marché européen, qui prévoit que le prix du Mégawattheure électrique soit fixé en fonction du prix de la dernière centrale de production appelée, et donc la plus chère (la plupart du temps à gaz), a de facto entrainé une répercussion directe sur les prix de l’électricité.
Comme vous pourrez le constater sur l’annexe jointe à ce courrier, alors que le 30 juin 2021 le MWh d’électricité pour l’année N+1 s’échangeait à 73,65€ sur le marché de gros, à la même date en 2022, son prix se situe à 366€, après un palier déjà très élevé de début mai à mi-juin aux alentours de 300€, et une nouvelle envolée des prix depuis une quinzaine de jours.
Comme évoqué précédemment, cette flambée des prix de l’électricité suit celle des prix du gaz, mais se voit également fortement impactée par le niveau historiquement bas de disponibilité du parc nucléaire français.
D’importantes incertitudes pèsent également sur la gestion de l’ARENH (Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique) auquel notre groupement a recours pour assurer une partie de sa fourniture électrique, et de son écrêtement qui interviendra en fin d’année, pour lequel un manque total de visibilité des volumes qui seront écrêtés pour 2023 accompagne la crainte d’une nouvelle explosion des prix au moment du rachat des volumes associés, comme en décembre dernier.
A ce stade, dans un contexte d’incertitude maximale, les prises de position qui ont dû être réalisées par notre groupement confirment donc une nouvelle augmentation substantielle des prix pour l’année 2023. Selon la tendance actuelle des marchés, les factures de nos adhérents devraient être multipliées par 1,5 ou 2 par rapport à 2022, soit une incidence supplémentaire de l’ordre de 60 à 110 millions d’euros TTC à l’échelle de notre groupement.
Cette situation interroge donc fortement sur les effets que pourrait avoir cette nouvelle augmentation en termes de tarification de nos services publics (eau, assainissement, déchets) ou parapublics (santé, médico-social) essentiels, ou plus simplement sur l’existence même et la survie de certains d’entre eux (équipements sportifs et culturels notamment). A moyen terme, elle pourrait également contraindre certaines collectivités à procéder à des choix douloureux de réduction substantielle de leurs investissements, avec par conséquent un impact direct sur nos entreprises, l’économie et les emplois locaux.
Mais les problématiques auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés soulèvent d’autres interrogations.
De par leur qualité d’Autorités Organisatrices de la Distribution d’Electricité et de fourniture d’électricité au Tarif Règlementé de Vente (TRV), les Syndicats d’Energie ont contribué dès les années 1950 à la construction du service public de l’électricité de notre pays. Depuis, ils ont vu le paysage énergétique changer. Les activités de production, transport, distribution et fourniture d’électricité ont tout d’abord été séparées, avant une libéralisation progressive de l’activité de fourniture, imposée par l’Europe, encouragée artificiellement par la mise en place du mécanisme ARENH, et confortée par la suppression progressive de la quasi-totalité des TRV.
S’agissant des collectivités encore éligibles au TRV électricité, mais également des particuliers, le plafonnement à 4% décidé par le gouvernement a effectivement permis de contenir l’augmentation des factures pour 2022. Toutefois, sans nouvelle évolution législative, le principe de contestabilité accordé au TRV et les dispositions de l’article 181-VII de la loi de finances 2022, qui prévoit l’application d’un terme de rattrapage dès la première évolution 2023 du tarif, ne permettent pas de garantir ce plafonnement des tarifs dans le temps.
Pour ce qui concerne le gaz, un blocage des prix a également été prévu, mais il est important de rappeler que les TRV gaz doivent disparaitre au 1er juillet 2023 et qu’après cette échéance, l’ensemble des consommateurs seront confrontés aux aléas du marché de gros.
Dans le Tarn, ce sont plus d’un tiers des communes et intercommunalités qui ne sont plus éligibles aux TRV et donc soumises à une obligation de mise en concurrence. Ainsi, des collectivités de quelques centaines d’habitants, au motif qu’elles ont souscrit un contrat dont la puissance est supérieure à 36kVA, ou celles qui emploient plus de 10 salariés ou présentent un budget de plus de 2 millions d’euros (destiné à la gestion de services publics), doivent désormais acheter leur électricité dans des conditions assimilables à du trading boursier, et sont confrontées non seulement à des fluctuations de prix de plusieurs dizaines d’euros du MWh
au sein d’une même journée, mais également à des augmentations de court ou moyen terme excessivement importantes, ainsi qu’à de potentiels phénomènes spéculatifs.
Pour celles qui ont fait le choix de souscrire à une offre de marché, et contrairement aux acteurs privés qui bénéficient du principe de réversibilité leur permettant de revenir à tout moment au TRV, les règles de la commande publique les contraignent à honorer leurs contrats jusqu’à leur échéance, leur interdisant ainsi de bénéficier des mesures de protection mises en place par le gouvernement. Une évolution législative rapide s’avère donc indispensable afin de corriger cette incohérence.
Aux problématiques liées à la suppression des Tarifs Règlementés de Ventes s’ajoute également la question de la fixation des prix de l’électricité pour les offres de marché. Alors que les contribuables ont largement participé au financement de la construction du parc nucléaire français et que les consommateurs ont soutenu le développement des énergies renouvelables à travers la Contribution au Service Public de l’Energie (CSPE), ils ne bénéficient que très marginalement de la compétitivité de ces moyens de production, qui constituent pourtant plus de 90% du mix énergétique français.
Face à ces constats, la crise énergétique que nous traversons interroge fortement nos Syndicats sur les bénéfices de certaines des réformes intervenues au cours des deux dernières décennies sur les marchés de l’énergie, en termes de protection des usagers, des collectivités et plus largement de défense des services publics et de l’intérêt général.
Au regard des difficultés rencontrées par notre groupement, ses structures adhérentes et plus largement par l’ensemble des acheteurs d’énergie, nos Syndicats ont souhaité se mobiliser et sollicitent votre intervention pour que des mesures de soutien puissent être très rapidement mises en place.
Sans remettre en cause l’évidente nécessité de devoir assurer le financement de nouveaux moyens de production pour garantir une plus large indépendance énergétique et permettre la réalisation de notre transition énergétique et écologique, il est désormais urgent que des mesures nationales soient adoptées afin d’accompagner les consommateurs dans les changements à venir et garantir à très court terme une stabilisation des prix et leur encadrement à des niveaux acceptables.
Une réforme plus structurelle du marché de l’énergie apparait également inévitable pour redonner visibilité et confiance à l’ensemble de nos structures publiques, aux entreprises et aux consommateurs individuels. Le fléchage des bénéfices engendrés par certains fournisseurs d’énergie vers la réalisation de nouvelles installations de production est donc primordial.
Comptant sur votre soutien, je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les élus, à l’assurance de mes salutations les meilleures.
Le Président de Territoire d’Energie Tarn
Alain ASTIE